1. |
Les beaux jours
03:15
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2. |
Parmi
04:20
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PARMI
Parmi les jours sombres, parmi les nuits claires, parmi les mots durs, parmi les mots doux, la conversation de l’oiseau et du vent se fait encore entendre.
Parmi les lueurs, parmi les nuages, des cours d’eau sans fin, des contrées magiques. Parmi les pas dans la neige, parmi les traces dans le sable, apparaît un langage.
Parmi les couleurs de la fin du jour, parmi les étoiles au seuil de la nuit, parmi tous les petits gestes sur le fil des choses à faire, rester en équilibre.
Parmi les souvenirs, parmi les saisons, parmi les marques du temps sur les visages, parmi les mots échangés, parmi les pages tournées, toujours le goût de vivre.
parmi tant de larmes
le sourire d’un enfant
parmi tant de drames
un moment de paix
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3. |
Le tracteur
05:35
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LE TRACTEUR
1
Il était une fois un tracteur Ford 1952
qui appartenait à mon grand-père.
Le tracteur en question croupissait dans un hangar
depuis que mon grand-père était hospitalisé.
Un jour mon père se mit en tête de faire démarrer ce tracteur.
Mal lui en prit.
L'engin était dans une sévère crise de la quarantaine
et refusait de fonctionner.
Il en parla à mon frère,
qui dénicha des pièces compatibles avec un moteur de 1952.
Rien à faire. Le tracteur n'émettait pas le moindre toussotement
de début de démarrage.
2
Quelques-uns de mes oncles et des amis de mon frère vinrent à la rescousse,
chacun y allant de son diagnostic et de son pronostic,
de sa théorie et de sa solution,
de son expérience et de son ingéniosité.
Ils démontèrent et remontèrent le moteur,
pièce par pièce, je ne sais combien de fois.
Rien à faire.
Le mot se répandit à travers la contrée.
D'un peu partout on venait pour relever le défi,
mais tous échouèrent lamentablement.
Couverts de sueur, de poussière, de taches d'huile, d'égratignures,
ils subissaient tous la même amère défaite.
Au bout de deux ou trois ans,
le tracteur avait résisté à toutes les tentatives.
On aurait dit qu’il ne démarrerait plus jamais,
L'énigmatique et intraitable Ford 1952.
3
Un jour, pour quelque vérification de routine sur sa voiture,
mon père est allé au garage dans un village voisin
et a parlé du tracteur à un dénommé Brouillette,
un vieux mécanicien propriétaire de ce garage.
Brouillette n'avait pas suivi la saga,
mais il avait jadis connu mon grand-père
et il devait justement aller dans le coin ce soir-là.
C’était sur son chemin, il arrêterait en passant.
Et il vint. C’était une belle journée de juillet,
lumineuse et légèrement embuée par une chaleur enivrante;
une de ces journées qui s’étirent doucement
pendant une bonne partie de la soirée.
Je le vois encore arriver. Il descendit d'une voiture blanche,
souriant et détendu, tout endimanché,
élégant dans son habit suranné avec boutons de manchettes
et cravate en noeud papillon.
4
Brouillette n’avait qu’un simple tournevis à la main.
Il n'éteignit même pas le moteur de sa voiture.
Sa dame, sur son trente-six et apparition d'une autre époque elle aussi, l'attendait calmement, comme s'il ne s’arrêtait que pour saluer des gens.
Mon père lui dit qu’il risquait de se salir,
d'arriver en retard à sa soirée, et pour rien, car tout avait déjà été tenté.
Mais Brouillette rigolait et disait : « Mais non, mais non, c'est correct ».
Il refusa même qu’on aille lui chercher des outils.
Et en deux temps, trois mouvements, à l'aide d'un simple tournevis,
tout en souriant et en parlant de la pluie et du beau temps,
le vieux mécanicien fit démarrer le vieux tracteur.
Ensuite, il n'y eut plus jamais de problème.
Le tracteur démarrait toujours du premier coup et roulait comme un neuf.
Dans la lumière magique des jours d’été,
mon père s'en servit souvent
pour promener ses petits-enfants sur la terre ancestrale.
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4. |
Saisissement
04:10
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SAISISSEMENT
attraper un insecte volant
et le tenir dans sa main ce n’est rien
mais ouvrir la main pour le laisser partir
c’est peut-être avoir saisi quelque chose
dans la rumeur des environs
pleurs de bébé ou cris d’oiseau
parfois on ne distingue pas
mais quelque chose prend son envol
se détachent des pissenlits
de tout petits nuages blancs
la vie est dans ce flottement
autour de ce qui va
des voiliers amarrés à un ciel orangé
la nouvelle lune un sourire en coin
et un peu plus haut l’étincelle d’une étoile
la première étoile d’une nuit toute neuve
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5. |
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CES INSTANTS
À L’ÉCHELLE DE L’ÉTERNITÉ
la rivière salive au soleil
caressée par le vent
sous le vieux pont qui bourdonne
lui aussi en parle de la rivière
dans son poème écrit sur l’asphalte
l’homme qui dessine maintenant un coeur
en bleu denim délavé
dans les vitrines des restaurants
certains menus se lisent aussi
comme des poèmes
un homme en fauteuil roulant joue un air joyeux
au coin d’une rue grouillante de monde
les étals des marchands de fruits et de fleurs
le bleu du ciel le bleu du coeur
le souffle frais d’un samedi de mai
fait danser les robes exposées sur les trottoirs
à la devanture des boutiques
aussi serrées les unes sur les autres
que ces hommes et ces femmes qui se frôlent
dans la foule aux mille désirs
et autant de chagrins
la vie est une main tendue
ou un chapeau sur un pavé
ses amoureux sont des artistes
de la rue
les rires sur les terrasses
les silhouettes ravagées longeant les murs
tout s’entremêle
tout arrive en même temps
à l’échelle de l’éternité
on passe des larmes de joie
à celles qui brisent la voix et font mal
puis on rit encore
et on pleure encore
on vit et on meurt
et l’univers continue
d’éclater
dans le silence infini
créant et détruisant
au passage
des milliards d’autres existences
mais alors qu’on courait seul
dans l’après-midi
il arrive qu’on se retrouve deux
sur un banc
des oiseaux sur une île
le temps de savourer
un rayon de soleil
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6. |
Dire
03:55
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DIRE
tout ce qui est trop beau pour être dit
tout ce que l’on n'a jamais su dire
tout ce que l’on aimerait avoir dit
tout ce que l’on espère pouvoir dire
tout ce qui tremble que l’œil ne peut voir
tout ce qui chante que l’oreille n’entend pas
tout ce qui effleure mais que l’on ne sent pas
tout ce qui vibre mais que l’on ne perçoit plus
tout ce qui veut dire et ne veut pas dire
tout ce qui vit sans être dit
tout ce que l’on cherche à dire
tout ce qui meurt avant d’avoir été dit
tout ce qui échappe à nos façons de dire
tout ce qui attendra toujours d’être dit
tout ce que l’on aurait peut-être dû dire
tout ce que l’on croit avoir dit
tout ce qui sent bon sans que l’on sache c’est quoi
tout ce qui rend joyeux sans que l’on sache pourquoi
tout ce qui inspire tout ce qui aspire tout ce qui veille
tous ces beaux jours qui n’ont pas d’histoire
tout ce que j’ai peut-être enfin dit
ou que je dis encore sans le dire
vous n’avez pas à vous le tenir pour dit
je réussirai une autre fois à mieux le dire
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7. |
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8. |
Au milieu de l'été
04:35
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AU MILIEU DE L'ÉTÉ
la fenêtre est un tableau à même le mur
la clôture du voisin
un peu d’herbe et de ciel
en arrière-plan
des magazines éparpillés
la tête de Baudelaire
traîne parmi les jouets du bébé
la guitare médite à son poste
au bord de l’éternité des livres
qui se serrent les coudes dans la bibliothèque
dehors la stridence molle des grillons
accompagne la voix chaude d’un vent d’été
les feuillages servent de micro
c’est l’heure où j’arrache à la nuit
en accéléré
le temps que le jour m’a pris
***
l’été palpite au cœur des quartiers verts
les désirs étouffés s’échappent
avec les parfums des parterres
la nuit tombe amoureuse des trottoirs voyous
l’air immobile craque de partout
le bruit d’une bicyclette
s’accouple au cri d’un insecte
la rumeur traînante d’un moteur
réveille des traces d’océan
les toits des maisons
deviennent des ailes sous un ciel fou d’étoiles
des lueurs caressent les voitures stationnées
la ville elle-même voudrait partir
sans bouger les lèvres
échanges de sourires aux intersections
les rues désertes invitent à la danse
dans la mesure de l’impossible
***
quand les pas sonnent faux sur les trottoirs
il faut arracher les décors collés au cerveau
je prends la route mirage d’un soleil d’été
la ville vient s’échouer sur l’indéfriché
et se couche très vite dans le rétroviseur
j’aime rouler en me soûlant de musique
me tailler un rêve dans le paysage
comme un hors-bord se fraie un passage dans l’eau
sur des routes de campagne
toutes fenêtres grandes ouvertes
les champs rappellent ceux de l’enfance
lourds des parfums des chevelures de sirènes
ce n’est plus l’errance c’est un pèlerinage
avec le chant des cigales
braises ranimées
modulant la musique d’une fête secrète
la conscience devient la mélodie des choses
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9. |
Sortir en plein air
04:45
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SORTIR EN PLEIN AIR
Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l’on reste
Immanquablement je m’endors et j’y meurs.
Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l’équilibre impondérable entre les deux
C’est là sans appui que je me repose.
***
Mon dessein n’est pas un très bel édifice
bien vaste, solide et parfait
Mais plutôt de sortir en plein air
Il y a les plantes, l’air et les oiseaux
Il y a la lumière et ses roseaux
Il y a l’eau
Il y a dans l’eau, dans l’air et sur la terre
Toutes sortes de choses et d’animaux
Il ne s’agit pas de les nommer, il y en a trop
Mais chacun sait qu’il y en a tant et plus
Et que chacun est différent, unique
On n’a pas vu deux fois le même rayon
Tomber de la même façon dans la même eau
De la fontaine
Chacun est unique et seul
Moi j’en prends un ici
J’en prends un là
Et je les mets ensemble pour qu’ils se tiennent compagnie
Ça n’est pas la fin de la nuit,
Ça n’est pas la fin du monde!
C’est moi.
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10. |
Le verbe vivre
03:40
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LE VERBE VIVRE
l’après-midi se dilate
dans l’acte d’écrire
puis l’espace se révèle
un espace de tous les langages
avec ou sans paroles
des murs s’évaporent
on les traverse
comme si on était devenu
son propre fantôme
sur une ligne
je suis l’enfant de mon enfance
sur la suivante
l’adolescent de mon adolescence
sur une autre je survole l’océan
dans des nuages sans ciel
je deviens très vieux
puis je rajeunis
je m’agrippe un instant
à la rampe du soleil
une chaîne de montagnes
dans la courbe de la terre
et toujours cette rumeur
sur la route
me rappelle que tout passe
je tourne la chaise
vers l’éclat du jour
je sculpte une existence dans la boue
on me demande toutes sortes de choses
au fond on ne me demande rien
et de ce rien
je tourne la manivelle
pour ouvrir une fenêtre
sur tous les temps du verbe vivre
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11. |
Printemps
02:45
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PRINTEMPS
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L'oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d'être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d'une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d'amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l'ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d'heureux chanter dans l'infini.
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12. |
Fulgurance
03:45
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FULGURANCE
elle a des pieds de ballerine
et elle marche bien droite
sur le serpent gris du soir naissant
la belle inconnue sans visage
le ciel se pommade de ses pas
de braises de soleil et d’oiseaux lointains
avant d’aller pourchasser la lumière
sur l’autre versant de la terre
cherche-t-elle quelque chose
la belle inconnue sans visage
douce prisonnière des ombres
je la vois pencher la tête
ses longs cheveux mollement attachés
comme des bras dans son dos
l’herbe est parcourue de présences
les zones noires des sous-bois se multiplient
un merle au torse fauve monte la garde
et soudain les ombres se sauvent
de tous côtés à l’approche des phares
la belle inconnue a pris pour visage
le spasme éblouissant de la nuit sur la route
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13. |
Touche universelle
04:30
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TOUCHE UNIVERSELLE
un air de guitare
vogue
sur les feux isolés
et une voix
portée par la respiration de l’été
survole la rumeur
des lois et des crimes
pour chanter la beauté de la nuit
et la terre sifflote dans l’espace
avec les particules du soleil
un chorus sur les ondes de l’univers
pour dire que nous sommes d’abord musique
et enchantements
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14. |
Jean Perron Québec
Écrivain, musicien et artiste visuel, Jean Perron a publié 24 livres en plus de créer entièrement plusieurs albums de pièces instrumentales, de chansons et de poésie accompagnée de musique. Il réalise aussi des courts métrages, y compris des vidéos de certaines de ses compositions. ... more
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